Apprendre à jouer aux échecs

Mon neveu a souhaité apprendre à jouer aux échecs. La dernière fois, c’était les dames, ça allait à peu près. Là, les échecs, j’y allais avec un peu d’appréhension. Jouer aux échecs a toujours été légèrement frustrant pour moi. Trop abstrait, trop complexe, trop rigoureux. Je connais les règles, j’y joue de temps en temps, mais je n’ai pas de passion pour ce jeu, et j’avais peur d’avoir du mal à trouver les bonnes clés d’entrée pour mon neveu.

Juste avant de jouer, un micro-souvenir m’est revenu. Quelqu’un expliquant que la meilleure manière d’apprendre à jouer était de ne surtout pas commencer avec le plateau complet, et de privilégier des petits jeux très simples, avec quelques pièces.

Je décide d’essayer cette approche. Je réduis les effectifs à un roi, une tour et deux pions. J’explique les déplacements de chacun. Et je simplifie l’objectif : on gagne si on arrive à prendre le roi adverse, ou si on a mangé toutes les autres pièces.

On joue. Ca semble convenir à mon neveu. Bien sûr, dès la fin de la première partie, il a envie de découvrir les autres pièces : et le fou ? et la reine ? et le cheval ? Alors on les introduit une à une, en restant dans une configuration réduite, 6 pièces maximum. Ca semble le bon niveau de difficulté pour qu’il reste concentré. Au début, je choisis volontairement de perdre exprès de temps en temps, mais rapidement, je suis obligé de jouer sérieusement, car il suffit de quelques coups bien pensés pour que la partie tourne largement en la faveur de mon neveu.

D’ailleurs, je découvre que, non seulement cette approche marche très bien pour lui, mais qu’en plus je prends moi-même beaucoup plus de plaisir à jouer. Le nombre limité de mouvements correspond mieux à ce que je suis capable d’analyser, je comprends mieux les options qui s’offrent à moi, et je fais donc des choix plus délibérés. J’ai même l’impression de mieux comprendre comment marche chaque pièce. La robustesse de la tour, le tranchant du fou, la finesse du cheval.

Je me rends compte alors, pour la première fois, de l’infinie beauté de ce jeu. Cette beauté avait toujours été là, mais je ne voyais qu’un tableau aveuglant de complexité. En baissant le volume de complexité à un niveau plus adapté, j’ai enfin pu toucher du doigt un peu de l’essence des échecs.

[...]

Avec le recul, cette manière d’aborder le jeu d’échecs n’est rien d’autre qu’une application de plus de quelques techniques qui me sont chères :

1. La lecture comme levier d’apprentissage. Je ne sais plus où j’ai découvert cette approche des échecs, mais je n’y aurais jamais pensé tout seul. Grâce à une lecture, j’ai bénéficié d’une idée inédite, validée par la pratique qui plus est.

2. L’explication à l’autre comme outil de redécouverte de son propre savoir. Sans cette occasion d’apprendre quelque chose à mon neveu, je n’aurais pas cherché une nouvelle façon de comprendre les échecs.

3. Les petits pas comme indicateur de la difficulté appropriée. Quand je me suis interrogé sur le nombre de pièces à choisir pour commencer, j’ai instinctivement mis la barre très bas, pour assurer à mon neveu un apprentissage sous forme de suites de petites victoires, modestes mais solides.

4. La réduction comme révélateur de profondeur. En réduisant la complexité présente sur le damier, j’ai permis à mon cerveau de se concentrer sur peu d’éléments, et ainsi de mieux les observer. En une après-midi, j’en ai appris plus sur les échecs que lors de toutes mes parties précédentes.


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