Ces visages me guident

Je rêvais d’une sieste parfaite, chacun dans son lit, reprenant des forces pour l’après-midi. Finalement, c’est le chaos qui se déclenche. Mes deux enfants sont en furie, et après de nombreuses tentatives d’apaisement, je m’embrase à mon tour. Et j’invente une punition un peu idiote : privés de jouets pendant une semaine !

Je vide leur chambre de tous leurs jouets : les voitures, les briques de construction, les doudous, les livres. L’ambiance est tendue. Une petite voix me fait savoir que j’ai oublié un jouet sous le lit. Je souris, à mi-chemin entre l’épuisement et l’hilarité.

Le coup d’éclat fait son effet. Tout le monde se calme, même si je reste plus énervé que je ne le voudrais. L’après-midi se déroule tranquillement hors de la maison.

Le soir venu, je ressens le besoin de finir sur une note qui clot l’épisode en douceur, sans forcément annuler la punition immédiatement.

Dans leur chambre plus épurée que jamais, je m’assois sur le grand coussin. Les deux me tournent autour, ne sachant pas bien quoi faire ; d’habitude, c’est le moment où ils choisissent chacun un livre. Mais là, sans caisse à livres, ils sont désemparés, et un peu intrigués.

Je me lance, suivant à la lettre les questions posées d’habitude par leur boite à histoires.

- « Timur, on écoute une histoire de Suzanne ou de Gaston ? »
- « Suzanne ! »
- « Très bien. Zeynep, où va se passer l’histoire de Suzanne ? Dans une tour ? Dans une grotte ? Ou dans une piscine ? »
- « Euh… Dans… Dans une tour ! »
- « D’accord. Timur, dans cette histoire, qui Suzanne va-t-elle rencontrer ? Un astronaute ? Un tout-petit serpent ? Ou le roi des rats ? »
- « C’est quoi un astronaute ? »
- « C’est quelqu’un qui va dans l’espace. »
- « Alors… Un petit serpent ! »
- « Un petit serpent, parfait. Et enfin, Zeynep, quel objet va intervenir dans cette histoire ? Une épée ? Un pot de lait ? Ou un casse-noisettes ? »
- « Un pot de lait ! »
- « Suzanne, une tour, un petit serpent, un pot de lait. C’est parti… »

Là, je fais appel à mon souvenir imparfait de la quatrième règle de narration de Pixar, et j’invente une nouvelle histoire de Suzanne. Ca parle d’une forêt, d’un chemin reliant entre deux villages, d’un serpent qui a perdu ses parents, d’interdit et de dilemme, d’un danger affronté à deux, d’une morale entièrement volée à La Fontaine. Sans livre à regarder, je porte mes yeux sur mes enfants. Eux sont scotchés à mes lèvres. Chaque mot déclenche une émotion nouvelle : de la peur, des rires, de l’excitation, de la tendresse, de l’impatience. Et ces visages me guident, phrase après phrase. Quand l’histoire se termine, un petit silence, puis un commentaire : « Elle était bien cette histoire de Suzanne. »

(…)

Il y a tant de choses que je souhaiterais souligner dans un tel épisode. Mais pour une fois, je vais m’en tenir là, laissant la magie de ce moment se poursuivre encore quelques instants.


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